[Le Tribunal de Turon]
La prison de Turon surplombe les falaises abruptes du Madel : l’océan bordant les terres de l’Astrée. Cela doit bien faire une semaine qu’Elision n’a pas vu la lumière du jour, et lorsqu’elle débouche sur le pont, elle se cache le visage en fronçant les yeux. Alors que le garde est occupé à refermer les trois verrous de la bâtisse, elle s’avance sur le bord pour poser ses mains sur la rambarde. Elle ne regarde pas en bas, elle regarde le ciel et cet oiseau tracer des courbes en son sein. Il semble superviser l’océan et plonge bientôt en sa direction. Il transcende l’air puis lorsqu’il sort le bec de l’eau, les ascendants le portent de nouveau. Il est libre, il est rassasié. Elle pense qu’elle pourrait peut-être voler…
« Avance ! »
Bercée par son inconscience, elle a oublié ce garde, qui l’agresse, la gronde, la malmène. Elle se tait. De toutes façons, qu’y a-t-il à dire, qu’y a-t-il à faire ? Elle progresse le long de ce chemin suspendu, donnant sur le Tribunal de Turon. Elle connait bien la capitale, mais n’a encore jamais vu ces édifices de l’intérieur. Elle s’en serait bien gardée, mais qui n’a pas déjà foulé ces lieux, sinon les bourgeois et autres nobles ?
Ils arrivent finalement devant la majestueuse porte de bois, et ce jour où elle côtoie le luxe, c’est pour être jugée… une fois de plus. Un intense battement de cœur la prend, l’édifice s’ouvre et, sous ses yeux, se déploie un arsenal de richesses : de voutes peintes avec talent, de mobilier en acajou finement travaillé et de roches taillées à la perfection. Rien ne manque à cette insignifiante cérémonie, pas même le parfait accoutrement des juges et autres prévôts.
Le garde la pousse et elle suppose qu’elle doit suivre ce tapis noir menant jusqu’à ce petit autel. Elle progresse fébrilement, sous le regard inquisiteur de ceux qui rendront son jugement et de ceux, qui, par curiosité ou intérêt ludique, viennent voir ce qu’il peut advenir d’une vie dont ils n’ont cure. Elle pose ses mains sur le bois, puis baisse le regard, désintéressée de ses persécuteurs, mais apeurée par une telle audience.
Le silence semble de guise jusqu’à ce que le juge lance d’un ton ferme :
« Quel est ton nom ? »
Un instant s’écoule, mais rien ne sort de la bouche de l’enfant malgré la réédition de la question. Des murmures parcourent l’auditoire. Des souffles et des médisances qui parviennent à l’oreille d’Elision : « C’est une de ces orphelines… » ou « encore une qui n’a pas d’éducation… ». Le juge avise son scribe de noter _ inconnue sept-cent soixante trois _ puis reprend stoïquement :
« Quel est ton âge ? Le connais-tu seulement ? » L’enfant ne répond pas davantage et l’inquisiteur hausse le ton : « Tu n’as donc ni nom, ni âge ! Ton silence serait-il endetté de mutisme ? » Le silence perdure…
« Soit, nous allons abréger si tu ne souhaites obtempérer. » Il se penche pour souffler à son scribe : « neuf ans ira bien ! » puis continue son monologue préfabriqué:
« Inconnue sept-cent soixante trois, âgée de neuf ans. Vous êtes accusée de vol de biens alimentaires en voie publique aux étales du noble et marchand accrédité Arence Estate. Avez-vous quelque chose à ajouter à cet état de fait ? »
Elision ne lève pas le regard. Il n’y a, dans cette salle, pas d’oiseau, pas de liberté ni de destin, juste un espoir précaire de ne pas être abattue sur le champ. La sentence l’importe peu, elle n’a rien à ajouter.
Le juge se lève alors :
« Bien ! En vertu des droits… »
La lourde porte du tribunal s’ouvre soudainement, rompant ainsi le verdict. Un garde intègre la salle au pas de course en contournant les bancs de l’auditoire. Il arrive aux côtés du maître de salle et se penche pour lui souffler l’information :
« Un homme dit être le père de cette fille et demande à être entendu. »
Le juge fronce les sourcils et acquiesce après un bref instant de réflexion:
"Qu'on le fasse entrer."
samedi 14 mars 2009
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5 commentaires:
T'ecris vraiment bien, tu sais? J'aime toujours autant et j'attends la suite :) bisous
Oui j'aime bien le fil de l'histoire. Par contre y'a juste quelque chose qui me chagrine dans le rythme ou la concordance des temps quand je le lis, j'arrive pas exactement à mettre le doigt dessus. Si j'y arrive je t'en fais part. Mais continue comme ça :)
Merci =)
Et oui, je suis d'accord avec toi Lalwende. D'habitude j'écris au passé simple les actions et là, j'ai voulu écrire au présent, du coup, je me tâte pour les temps à utiliser dans le descriptif. Hésite pas à m'en faire part que je rectifie le tir =)
Vite, vite la suite... J'aspire de connaître la suite:)
bises
oui tres bien ce texte
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